La révolution, disait Mirabeau, ressemble un peu à la dévotion: elle vous surprend en pleine incroyance. Elle naît un jour, elle repart un autre. Seules ses conséquences sont indélébiles.
L'effroi et l'opportunisme.Elle peut être valablement qualifiée de tout vocable. Révolution sournoise, piégée, lente, départagée, trainarde, elle est quand bien même, chez nous rendue possible sinon plausible. Comme une opération chirurgicale. Avec une assistance accrue et un bon matériel, l'acte peut avoir lieu dans la maternité du système. Ou dans une salle ordinaire. A proximité de la tête policière. Ou même dans un cinéma constitutionnel. Cependant, la rue qui reste interdite pour les adolescents serait vite et dans un proche avenir traduite en une aire de jeu pour adultes. Il suffit d'un bon coup de sifflet et tout rentre dans le désordre. La révolution ne peut se contenir dans la production d'un silence assourdissant accompli à son tour dans des applaudissements inaudibles. Sinon ce sera moins d'une révolte de quartier. Venir, se rassembler, parler, ovationner et partir, seront des agissements de tous les jours. A l'école, on le fait ainsi. A la Kasma du coin aussi.
Mais également dans une séance de travail. Les derniers événements subis par les peuples arabes demeurent édifiants à plus d'une tête. Chaque badaud tente justement de se poser ce casse-tête algérien. Pourquoi notre révolution n'a-t-elle pas réussie ? Ailleurs, à Tunis, il a fallut presque un mois, au Caire ; moins de 18 jours, à Tripoli ça continue, et chez nous cela dure depuis le 5 janvier ?
Elle ne peut, par contre contenir une simple envie de personnes où le goût de l'aventurisme éclairé, contre l'irréflexion d'un pouvoir établi ; sème le désarroi et le doute aux fins confins de leurs propres militants. La révolution ne peut donc se contenir dans une exposition conjoncturelle et intermittente sur un fond de mimique.
Chaque camp fait de son raisonnement une raison à sa dynamique. Sa logique ne sollicite aucune compréhension et de quiconque. Elle ne sait faire que des classements et des étiquetages. Avec ou contre moi. Dure logique en fin de production ! L'opposition déclarée ou celle agissant en sourdine n'arrive pas à se situer dans toute cette démarche. Quand l'on voit un parti ameutant autour de ses idées d'innombrables groupuscules d'entres entités dites société civile et autres non structurées et qui n'arrive même pas à rassembler tous ses députés, ses élus locaux, ses militants, ses sympathisants, le sentiment du tout perdu vous gagne et le désespoir vous étrangle. Quand l'on voit un autre parti, disons de la même obédience quasi-idéologique, faire cavalier seul dans un vase clos, sous la climatisation d'une salle que l'on peine à remplir, l'inouïe et l'étrangeté vous étouffent. Mais ou sommes-nous, dites vous ?
Encore une fois la révolution, si elle est préalablement un acte réfléchi et organisé, elle ne peut être toutefois un acte grandement collectif. Il y a ceux, qui dans un cercle restreint ; la réveille, la jette dans la rue comme disait Benmhidi, et au peuple, aux masses, à la grande majorité d'en faire un soulèvement rasant toutes les tables. Celle-ci donc, à l'heure actuelle n'est pas le propre d'un seul parti. Elle doit pour son éclosion réunir l'ensemble des actants de la scène nationale. Des partis dissous, non agrées à ceux en course légale pour le pouvoir. Car ce pouvoir n'est pas, à revoir la lecture de ses tendances, apte à aller de l'avant. Il semble se refuser à toute conversion à même de provoquer indubitablement sa disparition. Mais cher ami, la disparition est déjà, tel un atome viral dans les intestins de ce pouvoir dès le moment où il s'enfonce en porte-à-faux avec la revendication nationale unifiée et unitaire. A la longue, la résistance au changement s'épuisera par ceux-là même qui tentent de la maintenir. Les exemples sont légendes. Rien n'est plus clair que de scander une véritable rupture avec un fonctionnement public usé et métastasé. La quasi-totalité des walis qui commencent à être conspués, se trouve dans une impotence mais vraiment physique. Outre l'âge, l'effort n'a pu tenir compte des exigences du terrain. Il existe des potentats de ce rang ; invalides, presque estropiés. Grabataires, marchant avec un ménisque, une migraine chronique, une toux bruyante, une myopie professionnelle, ces gouverneurs se maintiennent à leur corps-dépendants. Comme ces ministres, qui par leur longévité défiant les affres du temps, sont devenus les symboles vivants d'un passé refusé et d'une actualité décriée. L'innovation est arrivée à saturation chez eux. Que dira encore un Benbouzid sur l'avenir de l'école algérienne ? Quelle reforme proposera t-il si l'école va le subir encore une ou deux années ? Quelle politique d'emploi Louh, va-t-il encore initier en faveur de cette production juvénile universitaire destinée droitement vers le trottoir et le facebook ? Et son collègue de l'enseignement supérieur, que fera t-il en face de la détermination ferreuse de ces jeunes étudiants en éternelle grève et boutade de cours ? Le changement s'il n'avait pas été une qualité divine, nous aurions douté de son utilité. Voyez, le Dieu tout puissant pour enfin instaurer une religion définitive, est passé par des cent aines de chefs de gouvernement et autant de ministres. Entendez avec cette nuance métaphorique prophètes et messagers. Chacun y est venu est parti avec ses tables, son livre ou son miracle.
Ceux des nôtres, ceux de ce jour, n'ont pour seuls outils miraculeux que « le programme de fakhamatouhou ».
Alors il ne faudrait pas se fier à des apparences, ou à des confidences dispatchées à destination de l'incrédulité, encore moins à des intentions non élucidées. Si tout indique qu'une révolution aura lieu à Alger, l'analyse d'indices se tait quant à l'heure fatidique. Selon Benbitour « tous les ingrédients pour celle-ci sont disponibles ; il ne reste d'un déclencheur » ou le trouver ? Suivez mon regard vers les entrailles du système et non dans les boulevards ou l'espace de la place fortifiée et fermement protégée du 1 mai. Là, dans ces lieux, la révolution ne naitra pas, mais se durcira et se sacralisera. Meyden eltahrir n'a pas été la salle d'accouchement de la révolution égyptienne, il en fit office d'une pièce de soins intensifs et de maintien en vie le nouveau-né. Tous les moyens sont bons pour le rendre viable et invulnérable à toute injection de virus nosocomial ou pilule d'avortement. « L'élément déclencheur » ne se fabrique pas forcement dans un laboratoire algérois ou dans les sièges centraux. La grogne est tellement tenace, qu'elle se répand un peu partout. Réduits à une échelle toutefois localisée chez un ou deux partis, à une ou deux associations, dans une ou deux wilayas, les prémices de la colère gagnent petit à petit, au grand jour, le cœur des masses silencieuses. Quand des slogans ayant fait tomber les régimes les plus durs dans la sphère arabe, résonnent dans les stades, dans les aires de jeu, comme un amusement, le fait de scander « echaab wourid iskat ennidham » est un peu prémonitoire. Croyez-moi, j'ai vu des bambins de 4 ans les crier. Certainement sans aucune connotation politique, mais par effet médiatique télévisuel. A la limite d'un jeu, d'un amusement.
Le pouvoir n'a t-il pas d'autres issues que de partir ? Autrement, par une transmutation progressive et rapide. Changer un gouvernement n'est pas une action de remise en cause. Réactiver les partis, y compris le FIS, sous un autre substantif et avec une autre substantialité (c'est cela que je visais dans l'une de mes chroniques qui aurait provoqué une équivoque de compréhension), n'est pas une concession, mais une reconnaissance de droits légitimes. Agréer tous les autres, permettre l'exécution des effets politiques engendrés politiquement par la levée de l'état d'urgence n'est qu'une remise en place des choses dans leur idéal démocratique. Alors, pourquoi cette attente ?
Sur le plan des dernières mesures promettant de l'emploi et autres dispositions renflouant les poches crevées des chômeurs, ne vont pas dans un ordre de long terme. Ceci va calmer, un temps l'ardeur d'une foule, mais attisera celle de celle que l'on bloque devant les bureaux déjà bondés de l'ANSEJ, de la CNAC, de l'ANEM où le seul dépôt d'un dossier pourtant minimisé n'octroie pas immédiatement la chose promise. L'on y promet encore de revenir une autre fois.
Et ces étudiants qui obstruent un ministère et prennent son ministre en otage ? Et ces cheminots qui refusent de faire démarrer leur draisine ? Et ces personnels, médical et paramédical ; qui ne s'arrangent pas pour continuer à pratiquer leurs actes hospitaliers ? Et cet effectif communal qui attend l'intégration statutaire et s'obstine avec nonchalance à collecter les déchets ménagers pour rendre salubres nos rues et placettes ? Et ces mouvements des pétroliers de Sonatrach , des médecins résidents ? Et ces coupures de routes dans les bourgs et les bourgades ?
Et ces marcheurs à qui l'on refuse chaque samedi de faire leur ballade urbaine ? Enfin il est aussi question de tous ces partis, nonobstant leur amplitude populaire et qui ne vont pas se cantonner dans une résignation à assimiler comme une volte-face ou pire, à une reddition, voire une trahison. Ils vont accentuer la pression mettant à leur compte, le jour où toute cette accumulation colérique éclatera au grand jour. L'on a beau à se fixer des objectifs éphémères par le partage de la rente pétrolière sous forme d'aide, d'assistance et de petits crédits bancaires. Même la femme au foyer sans qualification a son quota, pourvu qu'elle fasse la demande, le dossier, la queue, l'acte d'aller, de revenir, de voir, de revoir et ainsi de suite.
Un semblant d'attentisme positif. Et après ? Il est inconcevable pour un pouvoir de s'obstiner d'aller à contrario des attentes de ses masses, encore de ses formations politiques. Tout le monde sait, cette fracture génétique qui déchire l'œuvre voulue unifiée d'une opposition malade. La solution à tous ces marasmes ne peut provenir du seul fait du pouvoir ou de la puissance publique. Cette solution doit être imagée par tous, à peine de rejet et de manque d'adhésion. Le rôle d'une opposition n'est-il pas d'ailleurs de faire sortir tous les écarts de management ou d'approches dans une décision prise par la majorité ? Les banques, l'administration, la télévision, dépendant du domaine public ont tous été mis à contribution pour l'application de ces mesures. Si dans leur sens fonctionnel, celles-ci seraient aptes à résorber l'angoisse populaire, la couverture politique était absente cependant pour leur octroyer ce caractère utile les légitimant. Même les partis de l'alliance, se sont contentés par communiqué laconique d'exprimer leur satisfaction brute et simpliste. Alors qu'ils devraient donner au moins l'impression qu'ils ont la paternité politique de cette batterie de dispositions. Un ratage.
Alors ce sont tous ces ingrédients variant les uns que les autres, qui rajoutés à la surdité d'un pouvoir jouant aux financiers et urgentistes ; qui font venir en lenteur cette révolution sournoise, pernicieuse, pertinente vicieuse qui s'annonce à p'tits carillons. Pour demain.
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